6 novembre 2015 0 Commentaire

Le trésor des Datacombes (2) : « Surpopulation »

Demain, la question de la mort et de l’enfouissement des données numériques issues de nos activités humaines sera l’un des nouveaux problèmes auquel notre société digitalisée devra faire face.

Rapportée à la crise de surpopulation qui affecte aujourd’hui nos cimetières, l’analogie n’est pas dénuée d’intérêts et mérite que l’on se pose quelques questions sur l’avenir de toutes ces données, mortes ou sur le point de le devenir (voir l’article de Jacques Henno dans les Echos du 3/11/15 « Données personnelles  : quelle vie après la mort ? ).

Concernant l’humain, le problème est en effet sur la table et fait l’objet de réflexions sérieuses sur le conditionnement des défunts de demain. C’est un problème d’affluence sur un marché encombré qui se doit de trouver des solutions à la fois prophylactiques, sociétales et économiques. Le sujet est sérieux et il se pose à nos sociétés industrialisées qui sont amenées à y réfléchir sur ces 3 axes. Le recyclage (biomasse), la mise en cendre sont d’ores et déjà les alternatives crédibles à l’enfouissement et au problème d’encombrement  et de gestion de l’espace que pose ce dernier.

Dans le même état d’esprit – si l’on peut parler ainsi – l’analogie entre la conservation d’un être humain et celle des datas qu’il a produit tout au long de sa vie se pose en partie dans le traitement légal du concept de mort numérique. Le sujet est principalement abordé sous l’angle du droit. La CNIL par exemple a de longue date traité ce thème et produit une fiche pratique à l’intention des ayants droits afin de nous rappeler que le droit d’accès à un compte Facebook, Twitter, Instagram etc. n’est pas transmissible.

Autrement dit il appartiendra in fine aux réseaux sociaux de gérer et de traiter en direct avec le futur défunt les demandes d’accès ou de droit à l’oubli, bref de proposer l’exploitation d’un « testament numérique » dont les contours se dessinent actuellement dans le projet de loi du gouvernement français (cf article de Xavier Berne sur NextInpact : Axelle Lemaire veut instaurer un droit de « mort numérique »)

J’irai  fleurir vos datacombes

Effet d’aubaine, voilà que fleurissent les offres  de monuments aux morts virtuels, l’avenir est donc à la concession digitale et à son cortège funéraire où se retrouvent d’ores et déjà morts et vivants dans une sarabande frénétique de datas de consultation qui s’autoalimente ainsi à l’infini.

Pêle-mêle, nous pouvons opter de notre vivant pour le legs de tout ou partie de nos effets numériques, ajouter un message multimédia à destination des générations futures d’internautes, visiteurs de mémorial qui par cet acte de passage, viendront à leur tour grossir le flot de données de consultation.

Des visites  dont l’exploitation permettra – pourquoi pas – de valoriser la fréquentation de tel espace de stockage plutôt qu’un autre, cynique perspective ou réelle opportunité de « business » ?

La perspective de plonger dans ce maelström nous effraye t’elle plus de notre vivant qu’après notre mort ? Interrogation philosophique d’anticipation qui ne manque certes pas de mise en abime, tandis que la question du  devenir des données des morts n’en est qu’à ces premiers coups de pelles.

Que penser par exemple, d’un compte restant actif après la mort de son propriétaire ? Un compte par exemple programmé pour envoyer automatiquement des félicitations, des vœux à destination des proches dont on ne se souciera alors plus de savoir s’ils sont eux même encore de ce monde ou pas. La gestion et le pilotage automatisé par des robots collectant à votre place les infos de la thématique de votre blog pour les  poster en votre nom sur votre « mur » pour ensuite générer automatiquement tweets et commentaires… Bref !  Autant de possibilités d’activité post-mortem qui ne permettront pas aux acteurs de ces services en ligne de distinguer le vrai-faux mort du faux-vrai vivant, et d’ailleurs est-ce vraiment leur intérêt que de faciliter l’effacement de ces existences et des données qui les ont accompagnées ? Le modèle économique qui valorise financièrement  tel ou tel réseau se base sur la revendication d’un nombre d’abonnés, morts ou vivants là n’est déjà plus  la question, puisque les offres de services couvrent désormais « l’After Life ».

Ma data se conservera-t-elle plus longtemps que mon tonton ?

Bon, résumons-nous.

Notre vie numérique est d’ores et déjà post mortem. Chaque geste, chaque échange fait désormais l’objet d’une interaction qui trouve des débouchés immédiats et concrets dans l’exploitation de nos données à caractère personnel.

Qu’ils s’agissent de nos datas à nous les vivants (puisque vous lisez ces lignes) ou bien ceux de nos cher(e)s disparu(e)s nombreux sont ceux qui se trouvent en attente d’une exploitation possible pour de nouveaux horizons commerciaux que nous n’avons pas encore inventé, ou plutôt pas encore mis en œuvre.

C’est la promesse du big data, de la captation immédiate de nos allers et venues, de la diffusion de ces traces dans le nuage informatique, tout cela bien sûr en dehors de toute volonté collective ou individuelle s’exprimant pour ou contre ce mode de fonctionnement.

La question n’est donc plus celle du mal ou du bien fondé de cette évolution, elle est plutôt celle de l’usage de cette masse de données que nous produisons de notre vivant, aussi sûrement que nous respirons. Elle peut également – et c’est l’objet de cette réflexion – se poser en termes de conservation tant le volume de celle-ci échappe aujourd’hui à l’entendement faute d’une métrique universelle mesurant l’empreinte écologique de cette activité (cf. l’article Le réchauffement de la DataSphère).

S’il est facile de compter nos morts et d’établir une courbe tendancielle qui nous invite à nous poser la question de la gestion de ceux-ci, il est autrement plus difficile d’imaginer que les « datacenters » occuperons bientôt plus de km2 que les cimetières non-virtuels et s’avèrerons des millions de fois plus gourmands en dépenses énergétiques que la maintenance de la dernière demeure qui nous est promis, à savoir le néant.

On ne jette rien !

Tout cela pour quoi ? Pour y stocker  nos vies où plutôt l’expression quotidienne de nos activités, déplacements, type d’achats, appels téléphoniques, échanges de texto, tweets et autres reportages photographiques qui ont rendus obsolètes le stockage dans les boites à chaussures. Tout cela pour être en mesure d’interagir en direct sur nos choix, nos envies, nos décisions ?

Il n’y a pas là matière à s’alarmer : Cloud et big data ont autant de vertus que de travers (lire sur ce thème « quand les données vous veulent du bien » d’Emmanuelle Vibert dans le numéro 72 de Terra Eco).

C’est  bien l’usage qui détermine l’apport qualitatif pour le bien commun ou le bien individuel. La monétisation de celui-ci n’est qu’une conséquence de nos ambitions humaines qui, chacun le sait, ne sont pas uniquement faite d’altruisme et d’empathie. La liberté d’entreprendre et accessoirement, de réussir dans l’une de ces voies est à ce prix. C’est la règle du genre.

Ces immenses bibliothèques qui s’enrichissent chaque jour de nos faits et gestes seront telles en mesure de nous apporter des réponses aux aspirations de bien-être que tout à chacun peut nourrir en toute légitimité ? Dans le doute, nous stockons et dépensons aujourd’hui sans compter pour le faire, n’exploitant sommes toutes qu’une infime partie de cette immense collecte mondialisée, à des fins bien évidemment utiles car immédiatement rémunératrices. L’exploitation des archives permettra sans doute de concevoir de nouveaux modèles basés sur des applications au service toujours plus proche de besoins que nous aurions peine à imaginer, mais dont la réussite dépendra intimement de l’exploitation de cette bibliothèque universelle faite de tout petit rien, mais qui mis bout à bout, triturés, observés, analysés, finiront bien par produire quelque chose…

Ce n’est d’ailleurs pas le moindre des paradoxes que de laisser ainsi gonfler cette « data bulle » sans prendre le temps de se poser sérieusement la question de « à quoi tout cela va-t-il bien pouvoir servir (peut être) », et surtout du comment allons nous être en mesure de l’administrer ?

Fascination technologique et aveugle confiance dans ses représentants suffisent à écarter ces questions essentielles qui malheureusement noircissent bougrement le tableau idyllique des lendemains qui chantent.

Après nous, le déluge ?

Une nouvelle tour de Babel se construit à la lumière de nos regards penchés vers cet écran qui nous asservi autant qu’il nous rassure : nous ne serons plus jamais seul, c’est le prix de la vie éternelle, et c’est une ambition tellement banale qu’elle ne peut être qu’humaine.

Reste cette planète qui nous héberge et qui un jour ne sera plus en mesure de conserver la masse croissante laissées par les traces de nos octets passagers, sauf à y sacrifier encore quelques degrés sur l’autel du réchauffement climatique.

Autant l’exploitation sans contrôle, sans règle, sans consentement explicite de nos données personnelles mobilise aujourd’hui – et à juste titre – nos esprits et parfois l’action de nos gouvernements, autant la face immergé de l’iceberg numérique qui se décroche de notre  banquise digitale est à la mesure du coût caché que l’Homo Numéricus s’apprête à léguer à ses enfants.

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